Au cours des deux dernières décennies, le partenariat du Fonds mondial a accompli ce qui semblait autrefois impossible : sauver 65 millions de vies et réduire de 63 % le taux de mortalité combiné du VIH, de la tuberculose et du paludisme. Ces chiffres ne sont pas que des statistiques, ils incarnent des générations d’Africains à qui une seconde chance a été offerte.
Mais aujourd’hui, nous nous trouvons à un moment charnière. La huitième reconstitution du Fonds mondial n’est pas seulement une opération de levée de fonds ; elle représente un véritable référendum sur notre engagement collectif en faveur de l’équité, de la résilience et de la durabilité en matière de santé à l’échelle mondiale.
Le Fonds mondial appelle à une mobilisation de 18 milliards de dollars US pour poursuivre son action salvatrice entre 2027 et 2029. Un tel investissement pourrait permettre de sauver 23 millions de vies supplémentaires, d’éviter 400 millions d’infections, et de réduire de 64 % supplémentaires la mortalité liée à ces trois maladies. Mais rien n’est garanti. Le climat financier actuel — marqué par l’inflation, le surendettement et la réduction des budgets d’aide fait peser de lourdes menaces sur ces ambitions. Une stagnation des contributions pourrait ralentir les progrès, voire remettre en cause les acquis durement obtenus.
Pour l’Afrique, les implications sont encore plus préoccupantes. Bien que le Fonds mondial demeure l’un des mécanismes les plus efficaces pour obtenir des résultats en santé, sa huitième reconstitution doit également être perçue comme un signal fort en faveur d’une action audacieuse vers la souveraineté sanitaire. La réalité est que l’Afrique ne contrôle pas encore pleinement son propre destin sanitaire.
Malgré des engagements comme la Déclaration d’Abuja, dans laquelle les pays africains se sont engagés à allouer au moins 15 % de leurs budgets nationaux à la santé, seuls deux pays sur 55 ont atteint cet objectif. En moyenne, un(e) ministre africain(e)de la santé doit répondre aux besoins de sa population avec à peine 40 dollars US par habitant une infime fraction de ce dont disposent ses homologues des pays à revenu élevé. Par ailleurs, les financements concessionnels sont en recul, la dette commerciale augmente, et les budgets de la santé sont étouffés par le poids du service de la dette et les politiques d’austérité budgétaire.
Si la mobilisation des ressources domestiques et l’autonomie des systèmes de santé sont des priorités incontestables, ces aspirations ne peuvent se concrétiser du jour au lendemain surtout dans un contexte économique aussi contraignant. Plus que jamais, la solidarité internationale, incarnée par des institutions comme le Fonds mondial, reste essentielle pour maintenir les interventions vitales et préserver les acquis de plusieurs décennies. Une huitième reconstitution ambitieuse ne contredit pas l’autonomie africaine ; elle en constitue le tremplin.
Nous ne pouvons pas continuer à dépendre indéfiniment de bouées de sauvetage extérieures. La lassitude des donateurs et l’évolution des priorités géopolitiques ne sont pas des risques hypothétiques ce sont des réalités bien présentes. Les failles de l’architecture sanitaire mondiale, mises en lumière par la COVID-19, exigent un nouveau modèle : un modèle dans lequel les gouvernements africains prennent l’initiative, les communautés sont autonomisées, et les partenaires extérieurs s’alignent sur les priorités définies localement.
Ce changement est déjà amorcé. L’Agenda de Lusaka, porté par des institutions africaines telles que l’Union africaine, l’Africa CDC, le Bureau régional de l’OMS pour l’Afrique (OMS/AFRO) et le Bureau de la Circonscription africaine (ACB) avec le soutien des Initiatives Mondiales pour la Santé — appelle à cinq transformations majeures qui redéfiniront l’engagement mondial en santé sur le continent :
Une contribution renforcée aux soins de santé primaires
Une mobilisation accrue des financements domestiques
Des approches conjointes pour promouvoir l’équité
Une meilleure cohérence stratégique et opérationnelle entre les initiatives mondiales de santé
Une action coordonnée sur la recherche, le développement et la fabrication régionale
Alors que le Fonds mondial encourage les pays à intégrer et à re-prioriser les subventions existantes dans le cadre du Cycle de subvention 7, avec un accent renouvelé sur les ministères de la santé et les acteurs communautaires, nos circonscriptions (ESA/WCA) ont souligné, lors de la réunion du Conseil de mai 2025, que cette re-priorisation doit impérativement être guidée par les priorités nationales, et non définie unilatéralement par le Secrétariat. En vue du Cycle de subvention 8, une plus grande coordination, efficacité et redevabilité seront nécessaires mais elles doivent s’ancrer dans les réalités nationales et respecter la souveraineté des pays.
Cependant l’adaptation ne doit pas être confondue avec la résignation. Les dirigeants africains doivent se mobiliser non seulement pour défendre la huitième reconstitution, mais aussi pour intégrer son succès dans une stratégie plus vaste de souveraineté sanitaire. Cela suppose la mise en œuvre de financements innovants, une meilleure exécution budgétaire, une gouvernance renforcée, et la construction d’institutions capables de résister aux chocs futurs.
Plus tôt cette année, le Président Kagame a convoqué une Conférence de Haut Niveau sur le financement domestique de la santé à Addis-Abeba. L’un des résultats clés a été le mandat confié à l’Africa CDC pour élaborer un cadre de financement sanitaire durable. Ce sont là les types d’initiatives audacieuses dont nous avons besoin — mais elles doivent être soutenues par une volonté politique forte, des réformes structurelles, et des investissements centrés sur les populations.
La campagne pour la huitième reconstitution du Fonds mondial est désormais lancée, coorganisée par l’Afrique du Sud et le Royaume-Uni. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 18 milliards de dollars US, 23 millions de vies, et un retour sur investissement (ROI) de 1:19 , c’est-à-dire que pour chaque dollar investi, dix-neuf dollars de bénéfices sanitaires et économiques sont générés.
Mais les enjeux vont bien au-delà. Si nous réussissons, nous ne nous contenterons pas de vaincre trois des maladies les plus meurtrières du monde ; nous poserons également les bases d’une nouvelle ère de systèmes de santé africains dirigés et financés par l’Afrique.
C’est un moment décisif. Ne nous contentons pas de donner généreusement, donnons stratégiquement, en appui à des systèmes de santé africains dirigés par l’Afrique, capables de résister aux crises et de servir les générations futures.