A l’échelle continentale, l’Afrique est à la traîne en matière de développement depuis bien trop longtemps. La bonne nouvelle est que ses dirigeants modernes sont insatisfaits du statu quo et sont avides de changements qui propulseront les nations africaines vers une nouvelle ère de progrès technologique et de puissance économique. Cependant, malgré ce changement d’état d’esprit remarquable, la majorité des pays n’ont pas réalisé leurs aspirations en matière de mobilisation des ressources intérieures (MRI) et restent fortement dépendants de l’aide étrangère.
Cette année 2022, AIDS Watch Africa a déclaré que: « L’Afrique abrite 16 % de la population mondiale. Le continent est responsable de 26 % de la charge de morbidité mondiale, mais ne représente que 1 % des dépenses de santé mondiales. En conséquence, 11 millions d’africains basculent dans la pauvreté chaque année du fait des dépenses de santé élevées qu’ils doivent assumer. »
Il est désormais reconnu que la dépendance excessive à l’égard des dépenses privées et de l’aide étrangère est néfaste aux efforts du continent pour assurer un financement efficace de son système de santé. En 2017, les fonds privés constituaient la principale source de financement de la santé dans plus de la moitié des États membres de l’Union africaine (UA). Selon le groupe de réflexion mondial ODI, l’aide publique au développement représente encore plus de 20 % des dépenses totales de santé dans 20 des 55 pays africains. Bien que la situation soit dramatique, il n’est pas impossible d’y remédier.
Dans son plan de développement sur 50 ans baptisé Agenda 2063, L’Union africaine déclare que l’Afrique sera un continent prospère, doté des moyens et des ressources nécessaires pour piloter son propre développement, et dans lequel les populations africaines auront un niveau et une qualité de vie élevés, une santé et un bien-être satisfaisants. Ce plan fait notamment référence à la MRI et au commerce comme solutions à la transformation économique et structurelle de l’Afrique. Le plan appelle également à un « changement de paradigme » en faveur des initiatives dirigées par les africains pour le financement de la riposte aux maladies, avec une dépendance à l’égard de l’aide étrangère faible, voire nulle.
Conformément à l’Agenda 2063, la Stratégie africaine pour la santé 2016-2030, indique que des mécanismes durables et fiables de financement de la santé sont essentiels pour mettre en place des systèmes de santé viables. La couverture sanitaire universelle (CSU) restera une utopie sans un financement adéquat de la santé.
En février 2019, le Président de la République du Rwanda, S.E. Paul Kagame, a présidé, dans le cadre de l’Union africaine, la Réunion des dirigeants africains: investir dans la santé, à Addis-Abeba (en Éthiopie). Cette initiative avait pour principal objectif de mettre au point des outils efficaces et de collaborer avec les pays africains dans l’optique de consacrer davantage de fonds à la santé. Elle vise notamment à intensifier les efforts en vue de l’éradication du VIH/sida, de la tuberculose, du paludisme et d’autres pandémies, afin d’atteindre les objectifs de développement durable (ODD).
L’un des principaux outils innovants de la Réunion des dirigeants africains est celui du suivi du financement de la santé (Health Financing Tracker). Cet outil permet d’assurer la surveillance et le suivi des progrès réalisés sur le continent sous plusieurs aspects: efficacité, équité, plus d’argent pour la santé et une meilleure santé pour l’argent disponible. L’accent est également mis sur la transition des pays vers des systèmes de santé publique numérisés. En outre, la Réunion des dirigeants africains a pour vocation de faciliter la création et la gestion de pôles de financement de la santé dans les régions. Définis comme le centre effectif d’une activité, d’une région ou d’un réseau, ces pôles ont pour but de soutenir les pays dans leurs processus de réforme, de coordonner les efforts de développement et de fournir un point de référence pour accéder au soutien.
Plusieurs étapes ont été franchies depuis la création de la Réunion des dirigeants africains. En juillet 2019, lors du Sommet du Parlement panafricain à Brazzaville, au Congo, les parlementaires se sont engagés à soutenir la Réunion des dirigeants africains. En août de la même année, le Comité technique spécialisé sur la santé, la population et le contrôle des drogues (STC-HPDC 2019) s’est réuni au Caire, en Égypte. En plus de présenter plusieurs politiques et solutions pratiques au problème du financement de la santé, l’organe a également approuvé les outils de la Réunion des dirigeants africains, ainsi que la numérisation du tableau de bord de l’Afrique sur les financements nationaux de la santé, et l’outil de suivi.
Au cours de ce même mois d’août 2019, le STC-HDPC a invité les États membres de l’Union africaine à participer aux cycles de reconstitution des ressources du Fonds mondial et à la conférence de Lyon. Au total, 24 États membres de l’UA ont répondu à cet appel à l’action et ont annoncé des contributions d’un montant total de 75,2 millions de dollars en Afrique seulement. Cela représentait une augmentation de 90 % des promesses de dons faîtes par l’Afrique dans le cadre du cycle de reconstitution des ressources 2017-2019.
L’année 2020 a été marquée par plusieurs autres conférences et réunions organisées à travers le continent, au cours desquelles la Réunion des dirigeants africains a été mise au premier plan. La dynamique visant à créer une Afrique autosuffisante en matière de systèmes de santé publique continue de s’intensifier. La corrélation entre une population en bonne santé et un continent industrialisé et prospère est bien trop importante et cruciale pour être ignorée.
De nombreux pays ont mis en place des mécanismes visant à protéger les démunis et les groupes de population vulnérables, notamment des mesures qui suppriment ou réduisent les droits d’utilisation des services aux points d’accès des centres de santé. Il a été démontré que pour que ces mesures renforcent de manière efficace la fourniture de services de santé de qualité, des investissements à grande échelle sont nécessaires, notamment un soutien de la part de chaque État pour subventionner les établissements de santé qui perdent des revenus en raison du processus visant à rendre les services de santé accessibles aux populations locales.
Par ailleurs, la mise en place de points de service des technologies de l’information (TI) dans les centres de santé permet aux pays africains de commencer à abandonner les méthodes désuètes de prestation de services et de prise en charge des patients. Les interactions entre les ministères des Finances et les ministères de la Santé sont également renforcées par le biais de comités interministériels, d’organismes chargés de l’élaboration des politiques et d’institutions assurant le partage des informations. Bien que le financement extérieur demeure essentiel, le continent s’efforce désormais de générer ses propres ressources pour améliorer sa mobilisation des ressources intérieures.
À l’échelle du continent, la Conférence d’Addis-Abeba sur le financement du développement durable a défini une stratégie de financement qui comprend l’Initiative fiscale d’Addis-Abeba pour accélérer les progrès en matière de mobilisation des ressources intérieures. Le site Internet d’ATI indique que celle-ci vise à promouvoir une mobilisation équitable et efficace des ressources intérieures (MRI), la cohérence des politiques et le contrat social par le biais de partenariats et de l’acquisition de connaissances. Le site précise qu’« En tant que partenariat multipartite, l’Initiative fiscale d’Addis-Abeba joue un rôle essentiel dans la promotion d’une action collective visant à améliorer les systèmes fiscaux à la lumière des déficits identifiés dans le financement du développement. L’expansion économique en Afrique permettra de déterminer si le financement national augmente, diminue ou reste au même rythme que le revenu par habitant. Les résultats varieront d’un pays à l’autre. »
Récemment, le Nigéria a suscité l’espoir en adoptant le Fonds pour la fourniture de soins de santé de base (BHCPF). Grâce à ce programme, le pays le plus peuplé d’Afrique s’engage à fournir des soins de santé de base, la vaccination contre la polio et des vaccins contre la COVID-19 à au moins 70 % de sa population. Afin de faciliter la mise en œuvre du BHCPF, un manuel d’utilisation a été signé par diverses entités en décembre 2018, et le gouvernement a débloqué plus de 66 millions de dollars sur les 123 millions de dollars prévus en janvier 2019.
En dépit des résultats positifs enregistrés dans la mise en œuvre jusqu’à ce jour, le BHCPF a été confronté à un certain nombre de difficultés, notamment une faible collaboration entre les entités chargées de la mise en œuvre, une allocation et un déblocage incohérents des fonds, et une sous-utilisation des fonds octroyés. En outre, il n’existe aucune indication claire de la manière dont le pays parviendra à atteindre l’objectif annuel estimé à 5 milliards de dollars nécessaires pour fournir le paquet minimum de services de santé de base à tous les nigérians.
Le document de politique générale, ‘État du financement de la santé dans la région africaine, suscite également beaucoup d’espoir. Selon ce document, « plusieurs pays africains ont récemment mis en œuvre des réformes de financement de la santé qui ont produit de bons résultats. À titre d’exemple, le Ghana est passé des paiements directs à l’utilisation de fonds prépayés et de fonds communs; le Botswana étudie des options politiques en vue de créer des mécanismes efficaces qui lui permettront de pérenniser ses réalisations et de se préparer aux défis futurs, et le Rwanda a mis en place un mécanisme national de financement de la santé qui couvre la grande majorité de la population et qui a été un facteur déterminant pour améliorer l’accès aux services de santé. De nombreux autres pays africains sont à la recherche de moyens innovants pour améliorer le financement de la santé ».
En juin 2020, une réunion virtuelle des Ministres africains de la Santé et des Finances s’est tenue avec pour principal objet de traiter la question de l’impact social et économique de la COVID-19 sur le continent africain, et de mettre en place une stratégie continentale pour enrayer la propagation de la maladie. Par un communiqué de presse, l’Union africaine a annoncé que l’envoyé spécial de la CUA, M. Strive Masiyiwa, avait présenté la Plateforme africaine de fournitures médicales, une plateforme continentale dédiée à l’achat groupé de fournitures médicales pour les États membres. En effet, cette plateforme représente de nouvelles possibilités, non seulement pour lutter efficacement contre la COVID-19 mais également pour faire face à d’autres crises sanitaires.
Il convient de noter que la MRI a besoin d’une chaîne d’approvisionnement améliorée en vue de la distribution des ressources aux centres de santé. Les processus de fourniture des services et des produits (médicaments, kits de dépistage et autres ressources nécessaires) sont encore inefficaces et longues dans une large mesure. La mise en place d’une chaîne d’approvisionnement rapide et performante constituera une étape importante dans la mise en place et le maintien d’un système de santé moderne et compétitif en Afrique.
Le continent a désormais une soif universelle de progrès économique, social et politique. Grâce à des initiatives régionales telles que la Réunion des dirigeants africains, l’Afrique peut devenir et deviendra effectivement une puissance en matière de soins de santé efficaces et innovants.
Alice Simushi